Les alternatives au Brexit dur, souple, et au maintien dans l’UE
(Blog publié à l’origine sur www.bruegel.org)
Les récentes déclarations des dirigeants politiques donnent à penser qu’un Brexit dur constitue l’issue la plus probable aux négociations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, qui débuteront au printemps prochain lorsque le gouvernement britannique déclenchera l’article 50. Outre-Manche, plusieurs membres du gouvernement ont fait des déclarations allant dans ce sens. Et à Bruxelles, Donald Tusk, le président du Conseil européen, a déclaré la semaine dernière « qu’il était vain de spéculer sur un Brexit souple… La seule alternative crédible à un Brexit dur est l’absence de Brexit ».
Mais les caractéristiques exactes des différents scénarios du Brexit restent relativement floues. De toute évidence, si le Royaume-Uni renonçait au Brexit, cela signifierait qu’il demeure membre de l’Union européenne, sans doute selon les mêmes modalités qu’avant le référendum. Les contours d’un Brexit dur ou souple sont toutefois plus flous.
Nous tentons de combler cette lacune en établissant des hypothèses pour la future relation entre l’UE et le Royaume-Uni (voir tableau). Ce faisant, nous nous sommes largement inspirés des travaux de trois économistes de HSBC[1] portant sur les différents registres potentiels du Brexit, de son absence totale à sa forme la plus dure. Nous considérons les options suivantes :
- « Adhésion totale à l’UE » (pas de Brexit) ;
- « AELE EEE » : une option de Brexit souple, qui serait semblable à la situation des trois membres de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE) (Islande, Liechtenstein et Norvège) qui font partie de l’Espace économique européen (EEE) ;
- « AELE Suisse » : également une option souple, qui équivaudrait à la situation de la Suisse, qui est membre de l’AELE mais ne fait pas partie de l’Espace économique européen (EEE) ;
- « Partenariat continental » : une situation intermédiaire entre Brexit souple et dur, proposée par Jean Pisani-Ferry, Norbert Röttgen, André Sapir, Paul Tucker et Guntram Wolff comme modèle pour la relation entre pays membres et non-membres de l’UE (non seulement le Royaume-Uni, mais également les membres de l’AELE, l’Ukraine, la Turquie et d’autres) ;
- « UD avec la Turquie » : une option de Brexit dur, qui ressemblerait à l’Union douanière (UD) avec la Turquie ;
- « ALE avec le Canada » : une autre formule de Brexit dur, qui serait similaire à la situation du Canada si la proposition d’Accord économique et commercial global (AECG, ou CETA), un accord de libre-échange (ALE) ambitieux, est ratifiée ;
- « Les règles de l’OMC », la version la plus dure du Brexit, qui permettrait au Royaume-Uni d’avoir accès au marché de l’UE (et vice-versa) sur la base de la réglementation de l’OMC et sans accord préférentiel.
Pour chacune de ces sept options, le graphique indique si le Royaume-Uni serait en mesure de participer à 10 politiques ou processus communautaires – certains identiques à ceux analysés par les économistes de HSBC, et d’autres différents. Pour chaque option, le graphique pose la question de savoir si le Royaume-Uni :
- Aurait accès au marché unique de l’UE ;
- Respecterait la libre circulation de la main-d’œuvre ;
- Respecterait les règles relatives au marché unique (en matière de concurrence, de travail, d’environnement, etc.) ;
- Aurait son mot à dire dans l’élaboration de la réglementation de l’UE ;
- Serait tenu de respecter les décisions de la Cour européenne de justice (CEJ concernant le marché unique ;
- Bénéficierait d’une franchise de droits sur les biens au sein de l’UE ;
- Aurait accès au marché des services de l’UE ;
- Serait partie prenante dans la politique commerciale de l’UE ;
- Serait partie prenante dans la politique agricole (et la politique piscicole) ;
- Contribuerait au budget de l’UE.
Afin de faciliter la lecture du graphique, les cellules dans lesquelles la réponse est Oui (ce qui implique que le Royaume-Uni prendrait part à la politique ou au processus de l’UE concerné) sont colorées en vert foncé, et celles dans lesquelles la réponse est Non (indiquant que le Royaume-Uni ne participerait pas à la politique ou au processus concerné) sont colorées en rouge ; les cellules en vert clair ou en rouge clair concernent les domaines dans lesquels le Royaume-Uni participerait de façon partielle aux politiques ou aux processus.
Un examen attentif du graphique et des couleurs de ses cellules suggère ce qui suit :
- « L’absence de Brexit » et « les règles de l’OMC » sont deux cas extrêmes et opposés. Le premier impliquerait une adhésion à long terme à l’UE et, par conséquent, une pleine participation aux 10 politiques et processus communautaires. En revanche, une relation basée simplement sur les règles de l’OMC confèrerait au Royaume-Uni le statut de « pays tiers » vis-à-vis de l’UE, sans aucune participation à ses politiques ou ses processus, la forme ma plus rigide de Brexit.
- L’adhésion à une union douanière similaire à celle de la Turquie ou la signature d’un accord de libre-échange similaire à celui du Canada seraient également considérées comme des formes de Brexit dur. Dans les deux cas, le Royaume-Uni ne pourrait participer qu’à deux des 10 politiques ou processus de l’UE présentées dans ce document : la franchise de droits sur les biens et la politique commerciale de l’UE (dans le cas de l’union douanière) ou l’accès (partiel) au marché des services (dans le cas de l’accord similaire au CETA).
- L’accord sur l’EEE constituerait la forme de Brexit la plus souple étant donné que le Royaume-Uni serait toujours impliqué dans sept des 10 politiques ou processus. Les trois domaines dont il serait exclu se répartissent en deux catégories. Premièrement, certaines politiques de l’UE : la politique commerciale et la politique agricole communes (en plus de la politique piscicole). Deuxièmement, la réglementation du marché unique : Les pays de l’EEE sont des participants à part entière dans le marché unique, doivent respecter toutes ses règles mais n’ont quasiment pas voix au chapitre dans le processus de réglementation. Cette forme de Brexit souple sera certainement bien accueillie par les vingt-sept membres de l’UE mais très probablement rejetée par le Royaume-Uni.
- Un accord de libre-échange calqué sur celui de la Suisse serait également considéré comme une forme de Brexit souple, mais légèrement moins que celui concernant les pays de l’EEE. En vertu de ces deux formes d’accord, le Royaume-Uni ne participerait pas à la politique commerciale commune, à la politique agricole commune (ni à la politique piscicole) et n’aurait pas son mot à dire vis-à-vis de la réglementation de l’UE. En outre, le Royaume-Uni ne serait que partiellement tenu au respect des décisions de la CEJ. Le prix à payer pour ce scénario, à l’image de la Suisse, serait un statut de membre partiel du marché unique : le Royaume-Uni n’aurait que partiellement accès aux services de l’UE et, en particulier, ne pourrait pas bénéficier des droits que lui confère le passeport financier. À ce stade, la question de savoir si les vingt-sept pays membres de l’UE seraient disposés à offrir cette option au Royaume-Uni et si ce dernier serait intéressé en retour reste très hypothétique. La question à laquelle il faudra répondre en priorité est celle de la clause de libre circulation de la main-d’œuvre entre l’UE et la Suisse. Ce paragraphe a été rejeté par les électeurs suisses en 2014, alors qu’il est considéré comme une condition sine qua non par l’UE. En l’absence d’accord rapide entre les deux parties, cette option pourrait tout simplement ne plus être disponible au moment du déclenchement de l’article 50.
- Enfin, l’option du partenariat continental est très spécifique : elle ne s’apparente ni à la catégorie du Brexit dur, ni à celle du Brexit souple. En revanche, le partenariat continental :
- Partage des caractéristiques importantes avec la catégorie du Brexit souple : le Royaume-Uni bénéficierait pleinement d’un accès au marché unique pour ce qui concerne les biens, les services et les capitaux, en contrepartie de quoi il devrait respecter toutes ses règles, se conformer aux décisions pertinentes de la CEJ et contribuer au budget de l’UE ;
- Partage une caractéristique importante avec la catégorie du Brexit dur : le Royaume-Uni ne maintiendrait pas le principe de libre circulation de la main-d’œuvre au sein de l’UE, mais contrairement au scénario du Brexit dur, qui n’offrirait aucune possibilité de libre circulation, le partenariat continental offrirait une circulation contrôlée ;
- Partage deux caractéristiques avec les deux catégories : le Royaume-Uni bénéficierait d’une franchise de droits sur les biens au sein de l’UE, mais il ne participerait pas aux politiques agricole et piscicole ;[2]
- Diffère des deux catégories sur un point important : le Royaume-Uni aurait voix au chapitre, à défaut d’un droit de vote, dans le processus de réglementation du marché unique de l’UE.
En conclusion, en supposant que malgré l’atmosphère ambiante, que Donald Tusk a bien résumée dans son récent discours, un accord finisse par être trouvé avec le Royaume-Uni, et qu’il ne s’agisse ni du Brexit dur ni de l’absence de Brexit, l’option du partenariat continental devrait s’avérer plus avantageuse que celle du Brexit souple car elle réunit des caractéristiques de l’option souple et de l’option dure en plus de proposer une spécificité qui n’existe dans aucune d’entre elles. L’option du partenariat continental offre un autre avantage par rapport aux autres, qui permettrait au Royaume-Uni de maintenir un lien étroit avec l’UE. Parce qu’ils sont fondés sur la libre circulation des travailleurs afin d’autoriser la libre circulation des biens, des services et des capitaux, ni l’option absence de Brexit (autrement dit l’adhésion à l’UE) ni l’option Brexit souple (c’est-à-dire les modèles de l’EEE et de la Suisse pour les pays non-membres de l’UE) ne semblent réalistes pour traiter avec des pays comme la Turquie. À l’inverse, le modèle de partenariat continental sans libre circulation de la main-d’œuvre pourrait s’appliquer non seulement au Royaume-Uni post-Brexit mais aussi à la Turquie et aux autres pays voisins de l’UE.
[1] Simon Wells, Liz Martins et Douglas Lippoldt, « Un Brexit de plus en plus dur : réévaluation des perspectives d’un divorce complexe », HSBC Global Research, 6 octobre 2016.
[2] Il pourrait cependant participer à la politique commerciale de l’UE.
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