Des footballeurs de la Premier League jouent aux cambistes, comme des rappeurs et des top-modèles en 2007. Ont-ils raison d’éviter la livre sterling ?
A en croire de récents rapports, certaines stars étrangères du championnat de football anglais cherchent à être payées en euro plutôt qu’en livre sterling. Depuis le résultat du référendum en juin 2016, la livre sterling a chuté de 12 % face à l’euro ; aussi, il n’est guère surprenant que certains joueurs aient remis en cause la devise de leurs salaires. Ce n’est pas la première fois que des stars internationales ont demandé à être payées dans une devise spécifique. En 2007, le rappeur Jay-Z a exhibé des billets de 500 € dans son clip vidéo pour « Blue Magic », le groupe de hip-hop Wu-Tang Clan a préféré être payé en euro plutôt qu’en dollar pour son nouvel album 8 Diagrams et la top-modèle Gisele Bünchen a demandé à être payée en euro et non en dollar pour toutes les opérations promotionnelles.
Selon nous, il existe plusieurs bonnes raisons de s’attendre à ce que l’euro continue à l’avenir de s’apprécier face à la livre sterling. Aussi, il s’agit peut-être là d’une tendance à laquelle les clubs de foot devraient s’habituer étant donné qu’ils recherchent des talents dans le monde entier.
La performance impressionnante de l’économie britannique après le référendum a surpris la Banque d’Angleterre et les prévisionnistes économiques professionnels. En effet, la Banque d’Angleterre était si pessimiste au sujet des perspectives de la croissance économique qu’elle a rapidement ramené son taux de base à un niveau historiquement bas de 0,25 % et s’est engagée dans un nouveau programme, un de plus, d’assouplissement quantitatif. La suite a montré que ce pessimisme était injustifié. Le facteur clé de cette surperformance a été le fait que rien n’avait finalement changé dans le monde réel. Les entreprises ont conservé l’accès au marché unique et la dépréciation de la livre sterling a conduit les exportations à devenir soudainement beaucoup moins chères à l’international. Encouragés par la baisse des taux d’intérêt et la vigueur du marché du travail, les ménages britanniques se sont sentis suffisamment confiants pour continuer à dépenser généreusement, comme en témoigne l’un des taux d’épargne les moins élevés de l’UE.
En fonction de l’évolution des progrès des négociations sur le Brexit, l’économie britannique est susceptible de continuer à surprendre agréablement à court terme dans la mesure où les entreprises cherchent à constituer des stocks et les ménages à acheter des articles avant que le Royaume-Uni ne sorte du marché unique. S’il commence à apparaître de plus en plus probable que le Royaume-Uni s’en remettra aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, la réaction logique des ménages sera alors d’avancer leurs achats avant que l’imposition de tarifs douaniers conduise à une hausse des prix des importations européennes. Dans ce scénario, la consommation et les stocks se traduisent par une accélération de la croissance économique, en dépit de l’impact de la dépréciation de la devise sur l’inflation des prix à l’importation. La performance meilleure que prévu de l’économie, conjuguée à l’accélération de l’inflation et à la hausse des anticipations à l’égard des taux d’intérêt, a contribué à un rebond de la livre sterling au cours des dernières semaines.
Il semble que la confiance dans l’économie britannique soit infondée et que les perspectives de croissance au Royaume-Uni s’annoncent plus difficiles à moyen terme. En effet, les pressions sur les revenus réels devraient s’accentuer compte tenu de la croissance anémique des salaires, tandis que la propension à investir au sein du secteur privé a toutes les chances de se faire moindre tout au long du processus de négociation sur le Brexit.
Toutefois, il est extrêmement difficile d’estimer l’impact du Brexit sur l’économie réelle étant donné les incertitudes entourant la forme que prendront les futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE. Si nous regardons au-delà du Royaume-Uni, on observe des signes selon lesquels les différentiels de croissance et de taux d’intérêt commencent à évoluer en défaveur du Royaume-Uni et au profit de, respectivement, l’Europe et les États-Unis.
En Europe, la confiance s’améliore de manière généralisée au sein de la zone euro. Les indices PMI et la confiance des ménages ont atteint leurs plus hauts niveaux depuis plusieurs années dans toute la zone euro et, grâce à l’atténuation du risque politique après l’élection présidentielle française, l’Europe devrait générer une croissance économique vigoureuse en 2017. L’économie européenne devrait demeurer dans cette même situation « idéale » au cours des 18 prochains mois : la croissance est solide, l’inflation est peu élevée et la BCE est toujours extrêmement favorable grâce à une politique monétaire ultra-accommodante. Concernant ce dernier point, le meilleur état de santé de l’économie européenne devrait pouvoir suffisamment rassurer la BCE afin qu’elle commencer à réduire progressivement la voilure de son assouplissement quantitatif et relève possiblement le taux de rémunération des dépôts plus tard cette année. Plus ces anticipations feront tâche d’huile sur les marchés et plus l’euro se verra offrir un soutien. C’est tout particulièrement vrai face à la livre sterling, alors même que la Banque d’Angleterre reste fermement dans une position d’attentisme.
S’agissant des États-Unis, les incertitudes entourant les projets budgétaires de la nouvelle administration ne manquent pas. Au cours des derniers mois, le marché a réévalué la perspective d’une réforme fiscale, ce qui a conduit à une baisse du rendement de l’emprunt d’État américain à 10 ans et du dollar. Indépendamment de cela, il est clair que l’économie est solide et la croissance bénéficie d’importants vents porteurs. Premièrement, le marché du travail est actuellement proche du plein emploi, comme l’atteste le plus bas niveau en 17 ans du taux de chômage à 4,3 %. Dans ce contexte, les salaires ont toutes les chances d’augmenter (et l’inflation de s’accélérer) sous l’effet de la demande grandissante d’employés. Deuxièmement, les prix de l’énergie ont rebondi, ce qui devrait soutenir les dépenses d’investissement liées à l’énergie au cours des 12 prochains mois. Troisièmement, la confiance des ménages et des entreprises est robuste, et est ainsi révélatrice d’une économie en expansion. Quatrièmement, les conditions financières demeurent historiquement bon marché en dépit des relèvements de taux de la Fed l’année dernière. Et, cinquièmement, le sentiment des constructeurs de logements est proche de niveaux vus pour la dernière fois en 2005, ce qui indique que la contribution des dépenses de construction à la croissance économique va s’accentuer en fin d’année. Même avant de connaître les détails des projets budgétaires de l’administration Trump, il semble que le FOMC relèvera à nouveau ses taux à deux reprises au moins cette année, ce qui aura pour effet d’accroître le différentiel de croissance et de taux d’intérêt avec le Royaume-Uni.
Historiquement, la livre sterling tend à rester déprimée à la suite d’événements marquants tels que la crise du MCE de 1992 et la grande crise financière de 2007. De ce point de vue, le récent rebond de la livre sterling apparaît plus cyclique que structurel. La devise va probablement continuer de faire preuve de volatilité avant et après les élections législatives, tandis que son orientation à plus long terme sera avant tout dictée par des facteurs fondamentaux tels que les différentiels de taux d’intérêt. Les footballeurs de la Premier League qui signent des contrats de 3 à 5 ans pourraient bien avoir raison de demander d’être payés en euro plutôt qu’en livre sterling.
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