Carnets de voyage au Brésil – réactions à chaud de l’équipe de gestion Marchés émergents

Par Charles de Quinsonas

Je viens de rentrer d’un voyage de recherche d’une semaine au Brésil, au cours duquel j’ai pu rencontrer plusieurs investisseurs et émetteurs obligataires privés locaux. Je suis revenu de ce voyage plutôt pessimiste sur les perspectives fondamentales du pays. Les perspectives macroéconomiques sont inquiétantes et la faible croissance conjuguée aux taux d’intérêt élevés pèse sur un certain nombre de secteurs. Le risque politique est élevé avec le nouveau gouvernement Lula, ce dont le marché obligataire intègre à des degrés divers. Dans ce contexte, nous préférons les obligations brésiliennes en devise locale plutôt qu’en devise forte, mais nous avons identifié des opportunités parmi les obligations d’entreprises à haut rendement libellées en dollars américains dans des secteurs qui bénéficient des tendances mondiales (par exemple, la réouverture de la Chine) ou émises par des entreprises spécifiques moins sensibles au climat macroéconomique brésilien.

Les enjeux politiques occupent le devant de la scène. La nouvelle administration Lula n’a pas été du tout bien accueillie par le milieu des affaires. Pour rappel, lors de mon voyage, Lula s’est montré particulièrement virulent à l’égard de la banque centrale. Au mieux, certains émetteurs privés et quelques investisseurs locaux s’attendent à ce que les paroles ne soient pas suivies d’actes, et selon certains, le nouveau ministre des Finances, Fernando Haddad, s’est montré beaucoup plus raisonnable en privé que le gouvernement dans ses déclarations publiques. D’autres investisseurs s’attendent en revanche au pire de la part de Lula, notamment à un dérapage budgétaire dû à l’augmentation des dépenses publiques pour relancer la croissance, et ne lui accordent pas le bénéfice du doute. Lula est considéré comme un excellent homme politique et la population locale le croit capable d’obtenir une majorité au Congrès. Les freins et contrepoids politiques au gouvernement brésilien pourraient donc être plus faibles que les contre-pouvoirs auxquels sont confrontés les gouvernements de gauche au Chili, au Pérou ou en Colombie (La marée rose de l’Amérique latine). Du côté des points positifs, un consensus s’est dégagé sur le fait que Lula ramène le Brésil sur la scène internationale et que les investissements dans l’économie verte et la protection de la forêt amazonienne annoncés sont plus que nécessaires. Curieusement, absolument personne n’a mentionné les émeutes survenues à Brasilia pendant mon voyage.

Les perspectives macroéconomiques sont préoccupantes et le Brésil est confronté à une mini-crise du crédit depuis le début de l’année. La croissance devrait sensiblement baisser, pour passer de 3 % l’année dernière à 0-1 % en 2023. L’inflation a ralenti (5,77 % en janvier), mais devrait rester aux alentours de 5,5 % sur l’ensemble de l’année. Dans ce contexte, les taux d’intérêt locaux sont très élevés à 13,75 % et devraient le rester encore longtemps, probablement jusqu’à l’été. La faible croissance conjuguée à des taux d’intérêt plus élevés pénalise la plupart des entreprises. Les prêts hypothécaires et les créances douteuses des consommateurs sont en hausse, mais cela n’est pas inquiétant pour le moment dans la mesure où les particuliers ont contracté des prêts à taux fixe. Ce qui est plus préoccupant, en revanche, c’est que les entreprises sont lourdement endettées avec des emprunts locaux à taux variable — des prêts bancaires — et, avec des taux à deux chiffres, le service de la dette est un véritable défi dans un contexte de faible croissance. Le récent défaut (obligations en dollar et en devise locale) de Lojas Americanas, l’une des plus grandes chaînes de magasins du Brésil, est considéré comme un événement isolé par la plupart des acteurs du marché, puisqu’il résulte probablement d’une fraude (sous-déclaration d’une dette de 4 milliards de dollars liée aux financements des fournisseurs). Cette affaire a toutefois jeté de l’huile sur le feu et rendu les investisseurs, et en particulier les banques locales, très nerveux quant à la gouvernance des entreprises dans l’ensemble de la filière brésilienne. L’embauche surprise d’un conseiller financier par Light SA, une grande entreprise de services aux collectivités de Rio de Janeiro, a également pris le marché local au dépourvu.

En ce qui concerne le marché obligataire en dollars américains, les risques sont orientés à la baisse, dans la mesure où la courbe des taux souverains en dollar ne semble pas prévoir un scénario dans lequel le nouveau gouvernement Lula ne tiendrait pas ses promesses budgétaires (programme de croissance contre ancrage budgétaire). Nous estimons donc que la dette souveraine en devise forte est chère. De même, les obligations émises par les entreprises publiques semblent peu attrayantes pour la plupart, avec des spreads très faibles par rapport à la dette souveraine, ce qui, selon nous, ne tient pas compte des risques liés à la politique de Lula et à l’intégration verticale. Cela vaut en particulier pour le secteur du pétrole et du gaz. Dans le secteur des entreprises, le maintien de taux locaux élevés pendant une période prolongée, et ce, dans un contexte de croissance faible, pourrait entraîner une augmentation des défauts au niveau local, ce qui augmenterait le risque d’un resserrement du crédit.

Source: M&G, Bloomberg, JP Morgan CEMBI BD Index Z Spreads, 20th February 2023.

Le marché obligataire brésilien en USD a néanmoins déjà intégré une partie de ces mauvaises nouvelles, avec des spreads de crédit sous-performant leurs homologues latino-américains au cours des deux derniers mois (voir le graphique ci-dessus) et se négociant loin de leur moyenne sur 5 ans. Cette situation crée des opportunités d’investissement dans les secteurs qui affichent une bonne résistance, tels que les mines (grâce à la réouverture de la Chine), l’agroalimentaire ou le segment plus spécialisé des soins de santé privés. En revanche, nous restons prudents en ce qui concerne les secteurs de la logistique et de la consommation en raison des taux d’intérêt élevés au niveau local et des faibles perspectives de croissance.

Le marché des changes nous semble actuellement plus porteur :  La solide balance des paiements du Brésil et les prévisions de taux plus élevés à plus long terme devraient soutenir le réal brésilien. Les taux offrent également des rendements réels positifs élevés (rendements nominaux ajustés des anticipations d’inflation) après que la banque centrale du Brésil ait adopté une approche proactive pour augmenter ses taux au cours des deux dernières années, soit avant la Fed. Nous sommes toutefois légèrement plus prudents sur les taux que sur les devises, car nous ne négligeons pas le risque que le gouverneur de la banque centrale quitte son poste ou que de nouvelles difficultés macroéconomiques ou politiques se matérialisent à court terme (par exemple, concernant l’objectif d’inflation ou autres annonces budgétaires). Enfin, pour ce qui est du scénario le plus pessimiste, il me vient à l’esprit une phrase entendue de la bouche d’un investisseur local pendant mon voyage : « Nous, les Brésiliens, nous nous retrouvons très souvent au bord du précipice, mais nous ne tombons jamais ».

La valeur des investissements peut fluctuer et ainsi faire baisser ou augmenter la valeur liquidative des fonds. Vous pouvez donc ne pas récupérer votre placement d'origine. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

Charles de Quinsonas

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